RETOUR D’UKRAINE

Au lendemain de l’installation de la XVIIème législature, nous étions invités à faire nos vœux pour constituer les groupes d’amitié liant l’Assemblée nationale aux autres pays du monde. J’ai spontanément proposé ma candidature pour être membre du groupe d’amitiés France-Ukraine, comme l’expression d’un engagement résolu pour défendre le droit international le plus élémentaire autant que l’Europe, directement menacée sur ses frontières.

Ce groupe d’amitié constitué, Gabriel Attal en prenant la présidence au titre de son groupe politique, j’ai eu l’honneur d’en être nommé vice-président pour le Groupe Ecologiste et Social – Assemblée nationale. Très vite a cheminé l’idée d’un déplacement en Ukraine afin de rappeler le soutien déterminé de la France à la résistance ukrainienne. En mission parlementaire, nous nous y sommes donc rendus du 12 au 15 septembre, respectivement à Kiyv, Mykolaiv et Odessa.

Outre le président du groupe d’amitié et moi-même, la délégation était composée d’autres député-es(Thierry Sother, Liliana Tanguy, Pieyre-Alexandre Anglade, Député des Français établis au Benelux) et d’Edward Mayor, président de l’association Stand With Ukraine – Les Européens aux côtés de l’Ukraine. J’en profite également pour remercier l’administratrice de l’Assemblée nationale et les diplomates des ambassades pour leur professionnalisme et la grande qualité de leur accompagnement, de la logistique au partage de leurs connaissances sur le conflit et ses protagonistes.

Au programme de ces trois jours sur place, nous avons rencontré des parlementaires et élus locaux ainsi que des acteurs de la société civile. Nous avons visité les villes et avons pu découvrir un patrimoine exceptionnel autant que constater l’impact de la guerre sur ce dernier. Je ne vous partagerai pas ici un inventaire détaillé de ces rencontres et visites, préférant à ce récit celui d’impressions plus générales qui ont forgé une prise de conscience autant que quelques leçons utiles à ma responsabilité parlementaire.

Se rendre en Ukraine c’est d’abord éprouver les conditions d’un déplacement dans un pays en guerre, avec tout ce que cela emporte de conséquences matérielles qui rappellent le danger et l’horreur. L’espace aérien ukrainien étant évidemment interdit à l’aviation civile, nous avons atterri en Pologne et sommes repartis de Moldavie. Par sécurité, nous nous sommes déplacés en train de nuit d’une part, en véhicules blindés d’autre part. A Mykolaiv et Odessa, certaines de nos visites furent interrompues par les sirènes d’alerte de missiles et drones, nous obligeant à rejoindre les abris. Au cours de nos déambulations urbaines, je fus frappé du contraste entre la volonté de vivre normalement, et la réalité des corps amputés de ceux qui reviennent du front, traumatisés. Ici ou là, l’on découvre un bâtiment éventré, comme cet immeuble face à la mairie de Mykolaiv, coupé en deux par un missile tombé un matin vers neuf heures, emportant avec lui la vie de trente-huit personnes y travaillant. La guerre devient soudainement une expérience concrète, matérielle, physique.

Dans les colonnes de Ouest France, j’ai salué le courage des Ukrainiennes et Ukrainiens face à la barbarie. Au-delà de l’hommage, je retiens des visites et échanges sur place, la mobilisation d’une société civile toute entière pour soutenir son pays, son économie, son armée. De l’avis des experts les plus avertis, cette mobilisation a surpris l’état-major russe, depuis la contre-offensive héroïque à l’automne 2022 jusqu’à l’engagement des forces économiques et associatives dans l’effort de guerre, pour permettre à l’armée de tenir la ligne de front, si bien que les positions sont gelées depuis plusieurs mois.

Ce courage ne suffira toutefois pas indéfiniment. Les Ukrainiens éprouvent la difficulté de guerres nouvelles notamment par l’usage d’armes aériennes peu coûteuses et par le déploiement d’outils numériques de (dés)information. Le second point est bien documenté, le premier l’est moins.

Pourtant, l’avènement des drones comme armes prépondérantes de la guerre est une révolution dangereuse pour la paix, tant l’offensive est peu couteuse en opposition aux moyens infiniment plus importants qu’exige la protection du ciel. A moindre frais, les russes propulsent ainsi des milliers de projectiles chargés d’explosif, à l’image des presque 700 drones dirigés vers Kiyv en une nuit, quelques jours à peine avant que nous n’arrivions sur place. Plus tristement traditionnel est l’engagement sans limite de l’infanterie russe, la Russie et ses alliés disposant d’une démographie d’autant plus disponible qu’elle n’a de liberté de s’opposer à la guerre.

Nous devons donc renforcer notre soutien à l’Ukraine. Nous le devons par humanité mais également en conscience de ce que Poutine menace très directement l’Europe et nos démocraties.

A l’exception des plus illuminés des soutiens traditionnels de Poutine, plus personne ne nie plus aujourd’hui sérieusement, en France ou en Europe, que l’agresseur russe viole le droit international le plus élémentaire, celui du respect des frontières. Pourtant, continuent de prospérer certains discours latents justifiant ou minimisant le sens de l’invasion russe. D’aucuns des politiques les plus avertis se rangent ainsi parfois au mythe d’une grande Russie qu’aurait humilié un découpage à la hâte des frontières de l’ex-URSS à son implosion. Corollaire de ce propos, la négation d’une culture propre à l’Ukraine que prouverait l’usage de la langue russe, largement répandu (bien qu’aujourd’hui déclinant) dans le pays. Ces affirmations obscènes ne souffrent toutefois ni à la réalité d’une culture propre qu’illustrent des coutumes et des arts singuliers, pas plus qu’à un principe de réalité géographique. Sauf à nier l’héritage des cultures et coutumes forgés au cours des siècles passés, on peine à croire à l’unité culturelle d’une grande Russie, quand bien des femmes et des hommes n’avaient pour horizon d’une vie, que leur village ou leur ville. Ce principe physique n’ignore rien des influences des empires qui occupèrent l’Ukraine ou l’influencèrent. En témoigne par exemple l’empreinte de Richelieu sur le patrimoine d’Odessa que nous avons découvert avec étonnement lors de notre visite de la ville. Et cette observation nous rappelle à la porosité de cultures qui se forgent par l’expérience matérielle du mélange, pacifique ou moins. La « créolisation » est le mouvement naturel de l’humanité qui ne justifie jamais que l’on nie le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. D’ailleurs, Poutine ne s’y trompe pas et mène aujourd’hui une guerre culturelle visant à russifier l’Ukraine, au moyen des crimes les plus atroces, tels l’enlèvement et la déportation de plus de vingt mille enfants de familles ukrainiennes, déportés en Russie dans le but d’effacer leurs mémoires et souvenirs par trop imprégnés d’une culture ukrainienne à effacer.

Le combat des Ukrainiens est aussi le nôtre. En attaquant l’Ukraine, après des velléités d’expansion déjà démontrées depuis 2014 avec l’annexion de la Crimée, la Russie de Poutine menace directement les frontières de l’Europe et ne cache plus ses intentions impérialistes par-delà les frontières de l’Ukraine, se jugeant capable d’une guerre contre des pays membres de l’OTAN dans quelques années. Aucun expert sérieux ne considère par exemple que le survol récent de drones russes (ou biélorusses) en Pologne ou en Roumanie ne soit le fait d’erreurs regrettables. Poutine et ses alliés testent les capacités de réaction de l’OTAN, en vue d’attaques potentielles ultérieures.

L’on dit parfois que la Russie de Poutine s’attaque directement à l’Europe pour ses valeurs. Nul ne doute en effet que le nouvel impérialisme russe est réactionnaire, porteur de valeurs brutales, masculinistes et inégalitaires, en tous points opposés aux promesses émancipatrices de nos sociétés.

Mais rien n’indique que cette croisade ne soit motivée par quelconque idéal, fût-il réactionnaire, supérieur au principe d’expansion de l’empire, dont l’intérêt est de détruire la construction européenne, sur ses frontières comme depuis son cœur historique et géographique. La guerre menée par les Russes est hybride et s’emploie à déstabiliser les régimes pro-européens et démocratiques, par la désinformation et la manipulation de nos données. L’actuelle campagne électorale en Moldavie atteste de cette influence et menace que ne parviennent au pouvoir les prorusses dans quelques jours. Il y a quelques mois, les élections en Roumanie furent même annulées après que l’ingérence russe ait été avérée, notamment via la manipulation d’algorithmes de réseaux sociaux influents. Notre pays n’est pas moins concerné des tentatives de déstabilisation, depuis les tags d’étoiles de David orchestrés par le FSB à Paris, jusqu’à l’aide financière des banques russes aux partis d’extrême-droite poutinophiles.

Nos sorts en Ukraine et dans toute l’Europe sont donc liés. Il n’y a pas d’issues favorables et sûres dans l’hypothèse d’une victoire russe ou d’une paix sans les garanties de défense de dissuasion nécessaires. Dans ce contexte, l’évolution de la doctrine américaine, depuis la réélection de Trump, pose la question d’une alliance de défense européenne autonome, telle qu’engagée depuis quelques mois. J’y souscris autant que je considère l’intention des Etats-Unis d’un retrait progressif de ses implantations sur le continent européen comme l’heure de vérité de la construction européenne. Ma famille politique a toujours été favorable à la construction d’une stratégie de défense autonome des Etats-Unis, critique à l’égard de l’OTAN et de notre place dans son commandement intégré. Prise en étau d’impérialismes agressifs, l’heure est à l’affirmation de l’Union Européenne, dont la stratégie de défense doit être mise au service d’un idéal humaniste renouvelé. Ces considérations emportent autant d’efforts nécessaires pour une défense autonome (de la production d’armes européennes à la coordination des armées européennes) jusqu’à l’affirmation d’une diplomatie au service du droit international et des droits humains.

A l’occasion d’un entretien avec Rouslan Stefantchouk, le Président de la Rada, parlement de l’Ukraine, j’ai tenu à exprimer, au nom des groupes de gauche et écologistes représentés dans notre délégation, notre soutien à l’Ukraine dans la perspective des débats budgétaires à venir. Plus globalement, nous avons ressenti l’inquiétude des Ukrainiens mais également des personnalités polonaises et moldaves rencontrées, d’une possible victoire du camp russophile dans les pays fondateurs de l’Union européenne.

Conscients de ce que l’extrême-droite est une force en mouvement partout dans le monde, nous avons pris l’initiative de constituer une force en France, « La Digue », qui a pour objet de mieux connaitre les ressorts de cette progression et les politiques que l’extrême-droite met en œuvre une fois au pouvoir. Dans cette optique, j’ai effectué en juillet un déplacement en Italie. Et je crois fondamentalement qu’il faut que le camp progressiste, singulièrement la gauche et les écologistes, se rassemble et se fédère aux échelles continentale et mondiale pour résister aux retours des impérialismes, renouer avec les promesses de nos modèles démocratiques, et rouvrir des horizons d’espoir.

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